De la déficience de notre parlement

Article : De la déficience de notre parlement
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22 août 2020

De la déficience de notre parlement

« C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser,… il faut que par la disposition des choses le pouvoir arrête le pouvoir », pensait Montesquieu dans de l’esprit des lois. Pour lui, « tout serait perdu si le même homme, le même corps (…) exerçait les pouvoirs de l’Etat», s’appuyant sur le système politique Britannique  d’alors, il répartit les pouvoirs de l’Etat en trois fonctions.

Une fonction législative, relevant du corps choisi pour représenter le peuple et la noblesse (parlement), afin de créer les lois. Une fonction exécutive confiée au monarque qui veille à l’exécution de ces lois. Enfin, une fonction judiciaire chargée d’appliquer les lois revenant à des tribunaux. L’idée étant d’affaiblir le pouvoir par sa distribution entre les différents organes de l’Etat.

Naissait ainsi l’un des piliers sur lesquels repose notre système politique.  Système dans lequel, le pouvoir législatif doit pouvoir jouer un rôle primordial, qui est pourtant quasi inexistant. En cause, la double responsabilité des parlementaires et du peuple qui semble avoir démissionné.

La responsabilité des parlementaires

Elle est causée d’abord  un éloignement des élus des réalités locales. Quand l’article 71 de la loi N°2000-514 du 1er Aout 2000 portant code électoral n’exige que la résidence préalable de 5 ans avant l’élection, nous pensons qu’ils doivent aussi être tenus légalement de s’établir dans leurs circonscriptions électives toute la législature. 

Par ailleurs, le trop plein de responsabilités né du cumul des postes est handicapant. En effet, les parlementaires occupent souvent des fonctions publiques importantes.  Pourtant, le code électoral (articles 87- 88) rend incompatibles les fonctions publiques non électives d’avec le mandat de député. Auquel cas, il est remplacé et mis à disponibilité (article 73 alinéa 1). L’article suivant fait sauter ce verrou  fragile, quand le gouvernement  charge le député « d’une mission temporaire pendant une période n’excédant pas six mois ». Mais passé le délai, le cumul des postes est souvent constaté, sans base légale.

Plus subtile encore, est la ‘‘transhumance’’ dans l’hémicycle. Du latin trans (de l’autre coté) et humus (terre), elle est la migration du bétail selon le climat. Politiquement, c’est l’attitude individuelle ou collective de passer d’un groupe à un autre. C’est une supercherie faite aux électeurs. Elle n’est sanctionnée par aucun texte mais doit l’être, car elle brouille la lisibilité des électeurs et altère leur confiance, dixit Modibo Diakité ancien ministre malien.

En filigrane, se dessine une prédominance des intérêts partisans sur l’intérêt général. Quoique la constitution (article 96) fasse du « parlementaire le représentant de la nation entière », reproche leur est faite d’oblitérer les aspirations sociales au profit d’intérêts politiques. Ce qui rend les lois votées sont souvent impopulaires.

Une paresse législative ou une soumission à l’exécutif  ?

 La paresse intellectuelle découlerait d’abord des conditions d’éligibilité du code électoral (article 71)  où point n’est requis de compétence particulière. Mais l’illettrisme souvent constaté des députés s’avère problématique. Car les compétences académiques sont utiles en cette matière. Quid alors de la prédominance des projets de loi sur les propositions, quand l’initiative des lois, échut autant au Président de la République qu’au parlement (constitution article 74) ?   L’exécutif interviendrait contre les propositions à lui défavorables. Un argument plausible que confirme un sénat, constitué au tiers de membres nommés par le Président de la République (constitution article 85). Cela peut cacher une corruption du corps législatif qui se réfugie sous d’importantes immunités.

Le rôle des députés à contrôler l’action gouvernementale est inexistant

Le 25 septembre 2017, le groupe parlementaire « Vox populi » adressait à la Ministre de l’Education Nationale une question orale avec débat (constitution article 116) lors de la crise qui secouait l’éducation nationale, celle-ci n’a jamais répondu présente sans en être inquiétée. Aucune sanction n’est par ailleurs prévue en l’espèce.

La démission du peuple

La défaillance de nos parlements dénote des insuffisances de nos lois, mais pas que. Car tout peuple mérite ses dirigeants, et  élit ses propres tyrans -le discours de la servitude volontaire-. Trois entités populaires animent la sphère publique : citoyens, médias et société civile.

Le groupe des citoyens est plus important, il est celui qui choisit son député mais trop souvent selon certains critères tribaux. La solidarité tribale est normale, et peut demeurer une valeur positive tant que favoritisme et facteurs ethniques ne prennent pas force de loi dans la gouvernance d’un pays. Les citoyens  méconnaissent aussi les différentes fonctions politiques, un désavantage pendant les campagnes électorales. Peu désireux d’en apprendre davantage, considérant les députés comme inutiles, liberté est aux candidats de pouvoir en tirer profit. Car c’est de l’ignorance de nos droits que l’arbitraire tire sa force la plus grande. Cela est dépeint par l’exemple, du candidat aux législatives qui promet des actions de développement  à son électorat.

L’on aurait pu espérer que les médias soient pour eux comme Prométhée avec son feu, hélas ! Les médias, notamment la télévision, sont primordiaux pour l’émergence d’un Etat de droit. Leur caporalisation, rend inexistants les débats parlementaires et contradictoires. Les quinquennats se succèdent sans qu’il n’y ait de pression exercée sur le pouvoir législatif. Que dire alors des obédiences à peine voilées de la presse écrite ivoirienne ? Des couleurs au lieu de missions !

C’est une presse incapable d’impartialité dans sa grande majorité, et souvent peu formée, ni quatrième pouvoir, ni contre-pouvoir. A l’instar des médias, le rempart de la société civile a cédé en se politisant par moment. Beaucoup y trouvent un moyen d’obtenir des faveurs financières des politiques. Peu conscients de leur statut de groupe de pression, ces organisations de masse manquent de structures adéquates pour se transformer en viviers dynamiques.

Plus que d’hommes forts, l’Afrique a besoin d’institutions efficientes. Il faut pour cela que les parlements puissent jouer le rôle qui est le leur. Ils ne le pourront que si nous arrivons à nous doter d’un système juridique moins poreux, à un renouvellement de la classe politique. Mais aussi à une meilleure formation des couches sociales.

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