Forces de sécurité ivoiriennes, quand les femmes sont acceptées mais pas vraiment

Article : Forces de sécurité ivoiriennes, quand les femmes sont acceptées mais pas vraiment
Crédit: AMISOM / Iwaria
26 novembre 2021

Forces de sécurité ivoiriennes, quand les femmes sont acceptées mais pas vraiment

C’est en 2015 que la 54e promotion de l’école de gendarmerie d’Abidjan a, pour la première fois de son histoire, intégré la prestation de serment de quatre femmes ivoiriennes. Le début d’un mouvement d’intégration de la gente féminine dans ce corps d’élite, une victoire pour les luttes féministes et le droit des femmes en Côte d’Ivoire. Cela découle du processus de réforme du secteur de la sécurité (RSS) initié en 2012 qui mettra au cœur de sa stratégie la question du genre, notamment en ses réformes : Réforme 20 : « Développer une politique énergique de promotion du Genre basée sur la participation et la responsabilisation actives du personnel féminin au sein des institutions chargées de la sécurité et de la défense. » Réforme 101  : « Intégrer la dimension genre dans toutes les activités liées à la transformation et la gestion des  institutions du secteur de la sécurité. »

Malheureusement, aujourd’hui encore, les femmes sont victimes de discriminations dû à leur genre. En effet ce 24 novembre 2021, une femme, élève sous-officier de l’école gendarmerie de Toroguhé à Daloa été radiée des effectifs du corps de gendarmerie au motif qu’elle ait contracté une grossesse lors de sa formation. Une mesure disciplinaire qui remet en cause ces réformes. Si les uns invoquent la règle, l’on comprend aisément que cette règle discrimine les femmes et les empêcheront de s’engager à l’avenir.

Décision du Commandant supérieur de la gendarmerie

Intégrer les femmes, c’est intégrer leurs spécificités dont la maternité

Cette mesure qui vise à exclure les femmes du fait qu’elles soient en état de grossesse est la preuve que les forces de défenses ivoiriennes n’ont pas pensé au caractère sexo-spécifique d’une telle décision. En effet, seules les femmes sont confrontées à l’état physiologique de la grossesse et donc la discrimination à leur égard est subtilement affichée. Les implications d’un tel texte sont de décourager les femmes dans leur engagement dans ce corps de métier, de favoriser des avortements clandestins pour celles qui veulent continuer la formation en dépit de tout, d’exclure les femmes gendarmes car seules les femmes ont l’état physiologique de grossesse, de rendre antinomique la maternité et ce corps de métier, la maternité étant naturelle, biologique et prévisible. L’élève est par conséquent « renvoyée dans son foyer », une phrase d’où ressort du sexisme ordinaire à son égard.

C’est par ailleurs une disposition anticonstitutionnelle car selon l’article 5 de la constitution ivoirienne: La famille constitue la cellule de base de la société. L’Etat assure sa protection » et selon l’article 17 : « l’accès aux emplois publics ou privés est égal pour tous. Est prohibée toute discrimination dans l’accès ou l’exercice des emplois, fondée sur le sexe. »

En France: « La constatation médicale d’un état de grossesse entraîne systématiquement l’inaptitude temporaire à un engagement ou à un volontariat initial. Toutefois, pour la candidate admise à l’issue des opérations de recrutement, et dont l’état de grossesse est constaté par un médecin des armées, l’admission en école est différée à l’expiration des délais légaux de maternité. A l’issue, il est procédé à un nouvel examen du profil médical de l’intéressée afin de s’assurer qu’elle satisfait aux normes d’aptitude exigées par l’annexe I du présent arrêté. Le recrutement devient alors possible. » Selon l’arrêté du 12 septembre 2016 fixant les conditions physiques et médicales d’aptitude exigées des personnels militaires de la gendarmerie nationale et des candidats à l’admission en gendarmerie, section 5.

Un litige stratégique à mener pour les femmes dans la sécurité ivoirienne

Le litige stratégique se définit comme un litige d’impact qui a pour but de se servir du secteur judiciaire pour obtenir des changements juridiques et sociaux à partir de cas d’essai. Il a pour but de :

  • Changer la législation ou les politiques qui contreviennent à la constitution ou aux normes internationales relatives aux droits de l’homme.
  • Identifier les disparités entre les normes juridiques nationales et les normes internationales relatives aux droits de l’homme.
  • Faire en sorte que la législation soit interprétée et appliquée correctement. (Rekosh, 2003)
  • Montrer l’inconstitutionnalité d’une mesure

Au Benin, la jurisprudence peut servir dans le cas ivoirien, en effet, déjà là-bas deux jeunes femmes avaient déposé une requête devant le conseil constitutionnel pour avoir été radiées au même motif de la grossesse. Elles ont pu être réintégrées.

En France: « La constatation médicale d’un état de grossesse entraîne systématiquement l’inaptitude temporaire à un engagement ou à un volontariat initial. Toutefois, pour la candidate admise à l’issue des opérations de recrutement, et dont l’état de grossesse est constaté par un médecin des armées, l’admission en école est différée à l’expiration des délais légaux de maternité. A l’issue, il est procédé à un nouvel examen du profil médical de l’intéressée afin de s’assurer qu’elle satisfait aux normes d’aptitude exigées par l’annexe I du présent arrêté. Le recrutement devient alors possible. » Selon l’arrêté du 12 septembre 2016 fixant les conditions physiques et médicales d’aptitude exigées des personnels militaires de la gendarmerie nationale et des candidats à l’admission en gendarmerie, section 5.

Au niveau international l’on peut également invoquer La Résolution 1325(2000) du Conseil de Sécurité des Nations Unies, qui prône une meilleure participation des femmes dans les processus politiques et de paix.

Tous ces éléments montrent bien que le cas présent offre une réponse à la discrimination dont sont victimes toutes les femmes dans ce corps de métier.

Nous avons aussi pu obtenir un témoignage anonyme d’une femme dans la police ivoirienne qui disait ceci: « Les femmes n’ont pas le droit de présenter le concours alors qu’elle ont eu des enfants auparavant. Donc par exemple si tu as un ou deux bébés en 2015, et si en 2020 tu veux passer le concours, tu ne sera pas retenue. Tu es éliminée d’office. Par contre les hommes peuvent avoir autant d’enfants qu’ils le souhaitent avant le concours, ce n’est pas un critère éliminatoire. Mieux, ils touchent des ristournes sur le salaire normal en fonction du nombre d’enfant qu’ils avaient avant de passer le concours. » Pour le Professeur  Raoul Germain Blé enseignant chercheur à l’Université d’Abidjan : « la grossesse n’est pas un crime quand une personne est majeure. C’est un élément de la vie privée qui ne doit être  utilisé contre une femme gendarme ou policière. Aucune citoyenne ne doit être radiée pour une grossesse! Elle doit simplement  reprendre son stage de formation après l’accouchement»

Il faut rappeler que le taux des femmes dans l’armée ivoirienne est d’à peine 02% quand la Côte d’Ivoire vise les 20 %. Et il ne faudrait pas que de telles mesures puissent freiner cet objectif.

Il apparait comme primordial pour les autorités étatiques d’élaborer une stratégie genre et un plan d’action spécifié au secteur de la sécurité afin de mieux prendre en compte les besoins différenciés des hommes et des femmes voire de faire de la Côte d’Ivoire un leader dans le domaine de la féminisation de ses ISS

Kamina Diallo chercheure, experte sur les questions de genre et de sécurité internationale.

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Commentaires

Soumahoro
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Bonjour ..j'aimerais avoir des renseignements et hampe documents sur ce sujet principalement
La place du genre dans le secteur de sécurité en Côte d'Ivoire

Carelle Laetitia
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Bonjour Soumahoro,
je vais les chercher et vous les transmettre par e-mail.
Merci