Révision constitutionnelle en Côte d’Ivoire, ce qui va changer

Article : Révision constitutionnelle en Côte d’Ivoire, ce qui va changer
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2 août 2023

Révision constitutionnelle en Côte d’Ivoire, ce qui va changer

(c) Carelle Laetitia

La Loi 2016-886 du 08 novembre 2016 portant Constitution a créé la 3e république de Côte d’Ivoire en instituant de profondes réformes. Cette loi fondamentale qui a déjà subi une modification en 2020 a été révisée ces dernières semaines. Une révision adoptée en majorité par les députés présents à l’hémicycle en assemblée plénière, la dernière semaine de Juillet 2023.   Qu’est-ce qui va changer si la chambre basse du parlement adopte ce projet ?

Retrouvez une analyse des points principaux sur lesquelles porte la révision constitutionnelle de 2023.

Un renforcement des pouvoirs du président de la République en matière législative, du droit d’initiative au droit d’amendement.

Dans la procédure législative, le pouvoir exécutif incarné par président de la république partage l’initiative des lois avec l’ensemble du parlement (article 74 nouveau). Jusqu’à présent, seuls les membres du parlement détenaient le droit d’amender les lois lors de leur adoption en séance plénière. Ce droit était limité dans une certaine mesure; en cas de « diminution des ressources publiques, de création ou d’aggravation d’une charge publique, à moins qu’ils ne soient accompagnés d’une proposition d’augmentation de recettes ou d’économies équivalentes » confère l’actuel article 107.

Avec la nouvelle révision, le droit d’amendement sera étendu au Président de la République par le biais de son représentant. Il pourra amender les textes avant leur adoption par le parlement. Les nouvelles dispositions renforcent les attributions du pouvoir exécutif en matière de procédure législative, ce qui est de nature à porter atteinte de la séparation des pouvoirs. Il faut aussi rappeler que le tiers des sénateurs est nommé par le président de la république (article 87). Une prérogative qui lui octroie un pouvoir immense au sein du parlement ivoirien. Par ailleurs, la nouvelle révision aura impact direct sur les articles 53, 54, 55, 81, 82, 83, 84 et 85 des Règlements de l’Assemblée Nationale.

Au regard de ce qui précède, nous estimons que permettre au pouvoir exécutif d’amender des lois en plus de les initier est de nature à vider de sa substance l’essence du pouvoir législatif et de porter atteinte à son indépendance.

La restauration de deux sessions parlementaires au lieu d’une seule

Le Parlement se réunira en deux sessions ordinaires. L’une de janvier à juin et l’autre, d’octobre à décembre, « de façon à faire coïncider la période du travail parlementaire à celle du travail gouvernemental et coordonner au mieux le processus d’élaboration des textes législatifs et la conduite des affaires de l’État. »  Selon le porte-parole du gouvernement. La nouvelle modification remet en place les deux sessions qui avaient été supprimées en 2016, ce qui modifiera l’article 90 et 94 de la Constitution relative aux sessions parlementaires. Désormais, « à la demande du Président de la République, le parlement pourrait se réunir en congrès pour réaménager le calendrier des sessions » dixit le garde des Sceaux Mr Sansan Kambilé.

Dans le fond, la restauration des deux sessions est dans le fond louable, car elle permet d’assurer le travail continu du parlement, mais cette disposition ne doit pas être instaurée dans le seul but de permettre au président et à son gouvernement d’avoir un droit de regard sur le travail législatif.

L’abrogation des mesures transitoires dont celles concernant la nomination du vice-président

Au nombre des particularités de la troisième république, figure le tricéphalisme marqué par l’élection d’un Vice-Président avec le Président de la république. Néanmoins, il a fallu, dans le but de ne pas faire rétroagir la loi, recourir à des mesures transitoires qui permettaient de nommer un vice-président. En effet, la constitution est advenue postérieurement aux élections présidentielles. Par ailleurs la révision de 2020, a changé le mode de désignation du vice-président de l’élection conjointe à la nomination par le Président de la République. Il est maintenant évident que puisque ces dispositions sont devenues caduques, elles doivent disparaitre. Ainsi, la désignation du vice-président par nomination fait l’objet d’abrogation (article 179), ses attributions transitoires aussi. Le nouveau Vice-président est maintenant sous la coupole de l’article 62 nouveau qui fixe ses pouvoirs et limites. Les dispositions transitoires concernaient également les attributions de quelques institutions dont la cour suprême, le conseil d’État qui ont subi des réformes précédemment (articles 181, 182).

En somme, la révision de la constitution en Côte d’Ivoire touche à plusieurs points dont le plus fondamental est celui de la séparation des pouvoirs. L’octroi de plus en plus de prérogatives pour le pouvoir exécutif plus particulièrement le président de la République est inquiétant pour notre démocratie. Elle implique également qu’en 2025, le vice président sera nommé par le président de la République.

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Commentaires

Mariane Sery
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Merci poyces explications Carellle.
C'est en effet assez inquiétant que la séparation des pouvoirs tende à n'être qu'une vue de l'esprit.

Pour ce qui est de l'élection du vice président, qui votera ?

Mariane Sery
Répondre

Merci pour ces explications Carellle.
C'est en effet assez inquiétant que la séparation des pouvoirs tende à n'être qu'une vue de l'esprit.

Pour ce qui est de l'élection du vice président, qui votera ?

KYA
Répondre

Avoir une analyse objective est une excellente chose dans un environnement pipé par les obédiences politiques.
Merci à vous Carelle Laetitia pour cette économie de longues heures à lire sur ce sujet qui j'en suis sûre va devenir dans quelques moi

Eliezer AKE
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Merci pour cet excellent article qui vulgarise et met en lumière les technicité qui nous échappent sur cette révision constitutionnelle.
Le risque d’avoir un pouvoir législatif qui rase le mur et qui de ce fait déséquilibre les institutions est très évident. Ça donne à réfléchir pour les prochaines générations . Bravo