La Côte d’Ivoire améliore sa protection des victimes de violences domestiques et sexuelles

Article : La Côte d’Ivoire améliore sa protection des victimes de violences domestiques et sexuelles
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11 juin 2021

La Côte d’Ivoire améliore sa protection des victimes de violences domestiques et sexuelles

Crédit photo : collectif #NousToutes, France

Ce mercredi 9 juin 2021, au cours du Conseil des ministres, a été présenté l’adoption à un projet de loi portant sur les mesures de protection des victimes de violences domestiques, de viol et de violences sexuelles, autres que domestiques. Ce projet a été adopté par les membres du gouvernent. On espère qu’il le sera aussi par le Parlement très prochainement.

Il nous paraît nécessaire de la décortiquer afin de s’en prémunir. D’entrée de jeu, il nous semble primordial de se pencher sur l’intitulé dudit projet de loi. Cette méthode nous permet déjà de savoir qui en bénéficiera et en quoi l’éventuelle loi pourrait consister. Le titre proposé est « projet de loi relatif aux mesures de protection des victimes de violences domestiques, de viol et de violences sexuelles, autres que domestiques. » Nous pouvons donc définir trois catégories de personnes bénéficiaires :  Les victimes de violences domestiques, qui constituent la première catégorie. Les victimes de viol, qui sont la deuxième, et les victimes de violences sexuelles autres que domestiques, qui sont la troisième et dernière catégorie. Toujours selon le titre, il sera mis en œuvre des mesures de protection à l’égard de ces trois catégories de personnes précitées. Notre travail consistera à comprendre l’intérêt que présenterait un tel texte s’il advenait à être adopté définitivement.

Pourquoi cette loi ?

Elle apparaît face à une recrudescence constatée de ces formes de violence, que sont les violences domestiques, le viol et les violences sexuelles autres que domestiques. Malheureusement, plus les victimes restent dans cet environnement toxique, plus elles s’engluent dans plus de violences psychologiques et physiques. Par ailleurs, leur caractère grave porte atteinte à l’intégrité des victimes et bien que l’état et les acteurs et actrices sur le terrain aient essayé d’y faire face, les dispositions entamées restent insuffisantes. Il était impératif d’arriver à une disposition légale spéciale. Le présent projet commence par définir les infractions dont il est question dans le texte. La violence domestique s’entend par le champ d’application géospatiale de l’infraction : famille, foyer, maison. le lien qui unit la victime au(x) bourreaux est le lien de sang, d’alliance ou de parenté. La nature de la relation suppose une intimité, qu’elle soit matrimoniale ; concubinage, de fait, actuelle ou passée, même si les personnes n’ont pas eu de vie commune.

Sous quelles conditions peut-on être protégée (article 1, 2 et 10) ?

  1. Être victime d’une violence domestique pouvant mettre en danger la victime : doit-on y mettre des menaces de mort ? Comment mesure-t-on ce degré de dangerosité ? (Article 1 et 2)
  2. Faire l’objet d’une menace de mariage forcée, civile, coutumière religieuse : important pour les petites filles, qui ne peuvent pas elles même se défendre face aux parents. Il est donc primordial pour les ONG, les voisins, les personnes extérieures de dénoncer ces cas. (Article 10)
  3. Être une victime de viol ou de toute autre hypothèse de violence sexuelle, physique ou morale commises dans le lieu d’habitation. Cette condition implique le personnel domestique, les enfants, les conjoints, les partenaires intimes (article 10). Le mot « hypothèse » est important, car même si le fait n’est pas prouvé, on peut accorder aux victimes présumées le bénéfice du doute.
  4. Une personne dont l’enfant mineur est victime de viol ou de tout autre violence sexuelle, physique ou morale, commise dans le lieu d’habitation.

La mère ou le père d’un enfant mineur qui subit des abus peut obtenir protection. Les points 3 et 4 sont importants, car outre la victime directe de la violence qui est protégée, la loi offre aux parents directs de pouvoir justifier de cette protection, pour extirper l’enfant du milieu toxique. En effet, beaucoup de mamans, notamment, restent dans des domiciles par manque de protection et d’opportunité.

Règles de procédure aux fins d’obtention des mesures de protection (article 3 à 11)

Après le qui, le pourquoi, le quoi, il s’agit de comprendre l’un des points les plus cruciaux : le comment ? Qu’est ce qui sera pratiquement mis en œuvre à l’égard des victimes ?

  • La personne victime présente une requête au tribunal et une décision est rendue par voie d’ordonnance. La plainte préalable n’est pas une condition sinequanone en l’occurrence. Le procureur aussi est compétent en l’espèce (article 3). L’ordonnance dont il est question est une ordonnance de protection, qui est délivrée par le président du tribunal territorialement compétent saisi par requête.
  • Le tribunal compétent est celui du domicile du défendeur ou de sa simple résidence. Par définition, le défendeur ou la personne défenderesse est la personne contre laquelle est intentée une action judiciaire. Le Code civil définit le domicile comme étant le lieu où une personne possède son principal établissement. De son côté, la résidence est conçue comme une situation de fait. Exemple, si le présumé bourreau habite ou exerce ses activités dans la commune de Cocody, le tribunal compétent sera celui de première instance du plateau.
  • Est aussi compétent le tribunal du domicile ou de la résidence du demandeur. C’est-à-dire de la personne qui intente l’action. C’est important, dans le cas où la victime ne réside pas ou plus dans la même localité que le présumé bourreau.
  • La délivrance de l’ordonnance de protection n’est pas conditionnée par l’existence d’une plainte préalable ou de la production d’un certificat médical. C’est un point positif car le certificat peut être couteux pour les personnes indigentes et difficile à mettre en œuvre pour celles qui sont désorientées (article 4).
  • L’ordonnance est délivrée dans les 24 h à compter de la saisine du président (article 5). C’est un délai qui est court et en matière de protection, plus le délai est court, mieux la victime peut être sauvée.
  • L’ordonnance peut être remise en cause à certaines conditions. On parle de voies de recours dont dispose le défendeur. Elles sont prévues à l’article 6. Il s’agit de la demande de rétractation du juge qui l’a rendue. C’est-à-dire qu’à la suite d’un jugement par défaut, la partie contre laquelle ce jugement a été rendu peut demander l’annulation du jugement si, pour un motif valable, elle n’a pas pu contester la demande à l’intérieur du délai prévu ou se présenter à l’audience le jour prévu. C’est ce qu’on appelle une demande de « rétraction de jugement ». La rétractation de jugement n’est pas un appel. Pour cette raison, un jugement ne peut pas être annulé sous prétexte que le juge aurait commis une erreur. La deuxième condition est l’appel, qui est effectué dans un délai de 10 jours à partir du prononcé de la décision.

Un point important est que cet appel n’est pas suspensif. Cela signifie que la victime est toujours protégée.

Le contenu de l’ordonnance de protection (articles 4, 5 al2)

Il existe des mesures de protection qui sont prises indépendamment des poursuites pénales (article 7 à 11). Ces mesures existent, bien que soit déployée l’action pénale à l’encontre du défendeur. En d’autres mots, les poursuites pénales n’empêchent pas les mesures de protection. Elles sont prises pour protéger et sauvegarder les droits, les intérêts de la personne victime ou exposée. Il s’agit de : interdire ou limiter le port d’arme du défendeur, ordonner la résidence séparée des époux, se prononcer sur le logement commun des concubins, autoriser la victime à ne pas montrer sa nouvelle résidence et à élire domicile chez son avocat ou au parquet. Ces mesures sont transmises du président du tribunal au procureur, en signifiant les violences commises ou potentielles.

Date de prise d’effets : article 9, al 1

L’ordonnance est exécutoire sur minute et avant enregistrement. Plus simplement, elle n’a pas besoin d’être notifié pour déployer ses effets. L’exécution sur minute est une exception à l’obligation de notification.  Pour nous, cette disposition est aussi fait dans l’intérêt des victimes, dans le cas où elles doivent s’isoler ou si le défendeur est porté disparu ou ne se présente pas.

Sur le plan pénal, l’article 11

La victime n’a pas besoin de plainte ni de production de certificat médical. L’officier de police peut requérir un médecin pour examiner et soigner la victime. La famille de la victime ou la victime elle-même a le droit de demander un examen médical. Dans la procédure, le tribunal peut faire appel à un expert médical si le besoin se présente. La production du certificat médical peut en découler. Si la partie défenderesse ne respecte pas cette ordonnance, elle peut être sanctionnée d’un emprisonnement allant de 3 à 12 mois, avec une amende comprise entre 50.000 et 500 000 FCFA (article 14).

L’assistance judiciaire

Elle est disponible pour les victimes qui en font la demande. Elle couvre les frais de justice. Si certaines femmes ont pu bénéficier de cette assistance, elle reste méconnue et souvent difficile d’accès des populations.

A n’en point douter, cette loi est un véritable outil de protection et de défense des victimes. Le grand problème qui demeure est l’accès à la justice, une justice équitable. En Côte d’Ivoire, l’effectivité et l’applicabilité des lois demeurent le plus grand défi.

Téléchargez la loi ici

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