La Côte d’Ivoire ou le cycle décennal de la violence

Article : La Côte d’Ivoire ou le cycle décennal de la violence
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25 octobre 2020

La Côte d’Ivoire ou le cycle décennal de la violence

Samedi 31 octobre 2020, la Côte d’Ivoire entamera un nouveau tournant de son histoire. Et partout dans le pays, on est suspendu à l’issue de cette journée. La période pré-electorale est déja érodée de heurts manifestes. Entre les appels au boycott, les crises intercommunautaires et les discours de haine, le pays semble s’être englué dans un cycle des violences électorales décennal. 10 ans après la crise post-électorale qui a secoué le pays et fait des milliers de morts, le spectre de la violence rode toujours, comme pour respecter la dangereuse tradition.

Le piège électoral

Cette expression, est empruntée à l’analyste politique Geoffroy-Julien KOUAO, dans son essai 2020 ou le piège électoral ?.

Elle est pertinente et évocatrice, dans la mesure où depuis trois décennies, la Côte d’Ivoire est prise dans les sables mouvants d’un jeu électoral biaisé duquel elle ne peut – ou peut-être ne veut – en sortir. Les élections sont synonyme de peur, d’angoisse, de départs, d’incertitudes ! Le piège dont il est question ici découle du cadre juridique, institutionnel et même politique des élections ivoiriennes.

Le cadre juridique encore poreux

Par cadre juridique, on entend l’ensemble des règles de droit qui régissent les élections. En Côte d’Ivoire, ce cadre se compose de la Constitution et du code électoral. Encore aujourd’hui, ces textes ne bénéficient pas des verrous nécessaires pour garantir des joutes électorales claires et transparentes. Et les protestations anti troisième mandat qui naissent un peu partout ne sont pas surprenantes, mais s’inscrivent justement dans la droite ligne de ce que l’on a qualifié de piège électoral.

Force est de constater que ni la classe politique – dans sa majorité – ni la société civile n’a pris ses dispositions quand les intellectuels ont, en 2016, attirés l’attention sur l’article 177 de la Troisième République. Cet article, en effet, qui rendait l’option référendaire optionnelle en cas de révision, était le levier sur lequel s’appuierait l’adoption de textes taillés sur mesure. En outre, encore aujourd’hui, la liste électorale très peu fiable et dont la révision intervient trop tard, les cartes nationales d’identité, le cautionnement – maintenant –, le parrainage sont autant de problèmes juridiques sur lesquels l’on doit plancher pour espérer arriver à une crédibilité du scrutin.

Le cadre institutionnel incertain

Il est incarné par les deux principales institutions garantes des élections dans notre pays. D’une part, le Conseil Constitutionnel et d’autre part la commission électorale indépendante, ou CEI. L’un en tant qu’institution nationale consacrée prévaut sur l’autre, qui est exceptionnelle. La CEI est un organe exceptionnel, de ce qu’elle a vu le jour après le coup d’État de décembre 1999. Avant cette période, l’organisation des élections était assurée par le ministère de l’Intérieur.

La CEI, dans sa composition, porte en elle les germes de son dysfonctionnement. En effet, trop accaparée par le politique, elle perd son statut d’indépendance. Le constat est aussi fait pour le conseil constitutionnel trop inféodé à la majorité au pouvoir. Et souvenez-vous de ce qui a mis le feu aux poudres en 2010 en Côte d’Ivoire : c’était bien la divergence des résultats entre ces deux institutions qui proclamaient l’une et l’autre un vainqueur.

Malheureusement, ni l’une ni l’autre n’a fait l’objet de reforme profonde, et cela aura un impact négatif sur l’ensemble du processus électoral et augure déjà d’une contestation des résultats des urnes… comme en 2010.

Un cycle de violence décennal, pourquoi ?

1990, 2000, 2010 et maintenant 2020, chaque décennie semble apporter son lot de violences en matière électorale, quand les joutes électorales se déroulent chaque 5 ans. Si 1990 n’a pas atteint en matière de remous le point des autres années, elle est significative dans la mesure où elle ouvre l’ère du multipartisme et est la première élection démocratique au suffrage universel direct en Côte d’Ivoire depuis 1960.

Le cycle décennal lié à la violence est observé là où il semble avoir un réel enjeu en matière d’alternance. Selon la lecture que l’on peut faire des évènements, les doubles quinquennats marquent la fin réelle d’un règne et la volonté des autres partis à se saisir du pouvoir. Un autre fait est que pendant 10 ans, les alliances mises en oeuvre ont le temps de s’user, de se dénouer et de se renouer dans un autre sens. C’est le cas aujourd’hui du RHDP qui a implosé et dont certains membres se retournent vers leurs adversaires d’hier.

Seulement, cette alternance n’a pas besoin d’être violente pour avoir lieu. L’alternance est normale et obligatoire dans une démocratie. La violence s’explique par les limites de notre démocratie, l’envie de se maintenir au pouvoir, l’exclusion due à la gestion clanique, les politiques menées sur fond de discours tribaux et aujourd’hui l’amplification faite des réseaux sociaux. 2020 comme 2010 ne va apparemment pas échapper à cette triste règle si conscience et sagesse ne sont pas adoptées.

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