Veuve Éternelle

Article : Veuve Éternelle
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16 juin 2020

Veuve Éternelle

« Veux-tu prendre cet homme pour époux légitime, et vivre avec lui selon la loi de Dieu, dans le saint état du mariage ? L’aimeras-tu, le consoleras-tu, l’honoreras-tu, dans la maladie, comme dans la santé, et renonçant à toute autre union, lui resteras-tu fidèle jusqu’à la mort ? »

…Jusqu’à ce que la mort vous sépare… Nathalie se souvenait de ce vœu, de cette promesse, de ce jour qui ne lui revenait que trop souvent. Elle y avait consenti du plus profond de son âme, avait répondu avec un oui retentissant. Elle s’en sentait capable, elle aimait cet homme de toutes ses forces. Seulement, elle n’avait pas imaginé que la mort serait si proche, elle n’avait pas vraiment réalisé ce que serait une séparation de son fait. Et dans un coin de son cœur , elle espérait ne pas lui survivre.

La mort ? Elle avait frappé à la porte de leur ménage, imprévisible comme elle sait l’être, insaisissable aussi et surtout impitoyable.
Un an seulement qu’avait duré son bonheur, douze petits mois. Le drame s’est produit un matin de ces jours ordinaires, un de ces jours où l’on ne soupçonne rien. Sur le chemin qui le menait au travail, un conducteur ivre lui avait pris son homme, emportant son monde.

C’est tout naturellement qu’elle devint une veuve. Ce mot lui semblait tellement froid, il l’isolait de tout et de tout le monde. On lui avait imposé une posture, on lui dictait chaque jour sa conduite, son corps ne lui appartenait plus. Elle devait garder la tête basse et oublier toute velléité de joie même minime. C’était maintenant une pestiférée et seules les femmes « comme elle » devaient l’approcher.

Depuis des semaines, il était question de traditions, de moralité, de décence mais jamais d’elle et de sa douleur, de ce trou béant dans son cœur. Sa belle famille s’était subitement transformée en ennemie vis à vis d’elle. Finies les accolades et les discussions bienveillantes. Elle devait essuyer les remarques désobligeantes des plus subtiles aux plus crues. On allait jusqu’à la traiter ouvertement de  »mangeuse d’âme », de Veuve éternelle dont aucun homme ne voudrait jamais.

Le plus dur a été sa cérémonie de purification. Celle qui consiste à accompagner l’âme de son défunt mari. Jamais elle ne pensait que ce serait autant humiliant autant déshonorant. La coutume veut que la veuve soit conduite nuitamment en pleine forêt en « confrontation » avec l’esprit de son défunt époux afin de tester si elle n’est pas impliquée dans sa mort. Elle fût ensuite traînée sur la place publique, où brimée et injuriée elle dû « avouer » comment son infidélité avait  » tué » l’homme qui l’avait épousée. Elle se rappelait chaque regard de mépris qui était posé sur elle, de la chaleur écrasante qu’elle fut contrainte de supporter et sourit tristement.

Pourtant, le pire restait cette peur permanente d’enfreindre les règles, les tabous et les interdits toujours plus nombreux. Sa mère lui avait dit que c’était son lot de femme de supporter tout cela. Et que lorsque le deuil sera levé, elle aurait honoré leur famille par sa résilience et surtout prouver son innocence.

Elle pensait, pensait encore et encore. L’ultimatum était enclenché. Le conseil de famille avait tranché ; tous les biens de son mari revenaient à ses frères à lui. Tant pis si elle avait contribué à leur acquisition. Il n’y avait pas de testament, et elle ne disposait d’aucun moyen pour se défendre juridiquement.

Une femme de malheur, infertile de surcroît c’est tout ce qu’elle était. Pour Nathalie l’avenir semblait bien sombre, inexistant même. Veuve, esseulée, sans le sou, il ne lui restait qu’une solution, rejoindre celui à qui elle avait lié sa vie. Elle ne voulait pas supporté, elle voulait sa rébellion contre un système qui l’avait déshumanisée et avant elle beaucoup d’autres femmes.

Combien de ces comprimés avala-t-elle ? Elle s’était juste assurée qu’ils étaient suffisants pour que quand on viendrait la chercher tout ce cauchemar ait pris fin.

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Commentaires

Leopoldine Tossou
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Tu pourrais en un livre. L'article est top.

Carelle Laetitia
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Merci Ma belle je pense à un recueil de nouvelles justement. Tu me donnes la force.